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Deux socles pour le prix d’un…

…et le 3e gratuit

3 mars 2015, par ADAMUS Zbyslaw


La surprise

Deux jours avant la fin de la période des soldes d’hiver, le journal officiel du 15 février 2015 annonce un décret signé du premier ministre et du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la définition du contenu et des modalités de mise en œuvre du socle de connaissances et de compétences professionnelles.

Lorsque le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, a été adopté, nous avions bien lu :

« Art. L. 6323-1. – Un compte personnel de formation est ouvert pour toute personne âgée d’au moins seize ans en emploi ou à la recherche d’un emploi ou accompagnée dans un projet d’orientation et d’insertion professionnelles ou accueillie dans un établissement et service d’aide par le travail […]
« Art. L. 6323-6. – I (nouveau). – Les formations éligibles au compte personnel de formation sont les formations permettant d’acquérir le socle de connaissances et de compétences défini par décret.
« Art. L. 6323-8. - II. […] la possibilité, pour chaque titulaire du compte, de disposer d’un passeport d’orientation, de formation et de compétences, […] qui recense les formations et les qualifications suivies dans le cadre de la formation initiale ou continue ainsi que les acquis de l’expérience professionnelle, selon des modalités déterminées par décret. »

Mais nous pensions naïvement qu’un élève n’ayant pas validé « le » socle pourrait le faire après avoir quitté l’école ; d’ailleurs, nous sommes dans l’attente de la nouvelle version du projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture annoncée par le conseil supérieur des programmes (CSP).
Voir notre article « Le socle III est annoncé »

C’était oublier combien les relations formation-emploi ont toujours été tumultueuses ; la loi de 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, introduisant de surcroît le troisième terme, l’orientation, avait presque fait œuvre de conciliation.

Le travail qui coiffe l’éducation sur le poteau crée une situation surréaliste : en effet, depuis de longues années, entre le parcours de formation et le parcours professionnel, s’est insinué puis s’est développé un parcours d’insertion au cours duquel les jeunes ne cessent de passer d’un statut à l’autre : statut scolaire, apprenti, stagiaire rémunéré ou non-rémunéré de la formation professionnelle, salarié, chercheur d’emploi… Un jeune qui n’a pas validé le socle commun de connaissances, de compétences et de culture à l’école, devra-t-il préparer l’autre socle, pour revenir au précédent s’il est rescolarisé ?

Des liens coupés, un public écartelé

La loi de 2009 promettait au le public une continuité sereine dans les articulations entre orientation, formation et emploi.

Une des premières concrétisations de la loi de 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, à savoir la mise en place du service public régional d’orientation (SPRO), démontre qu’en termes de partenariat autant 1 + 1 font plus que 2, autant ½ + ½ font moins que 1 !
Dissocier une orientation uniquement scolaire d’une orientation tout au long du reste de la vie en fait un non-concept ou, au mieux, un abus de langage, comme l’illustre cet exemple d’une mère d’un élève de CM2 qui demande conseil auprès du psychologue scolaire pour savoir s’il vaut mieux « orienter » son enfant vers une 6e avec théâtre ou vers une 6e avec handball !

C’est à l’école que l’individu peut acquérir la capacité à s’orienter et à se former tout au long de la vie, sauf à vouloir nier les freins qui retiennent une partie du public le moins qualifié à l’écart de la formation continue.

Et voici qu’un deuxième coup de hache tranche en deux le concept de socle « commun » qui aurait pu constituer un lien entre formation initiale et formation continuée, lien d’autant plus précieux que le public concerné est plus fragile.

En ce qui concerne l’orientation, le passeport orientation formation (le WebClasseur de l’ONISEP), est utilisé pendant la scolarité, et le passeport d’orientation, de formation et de compétences est prévu par la loi de 2014 ; la liaison entre les deux n’est évoquée nulle part , elle est restée au stade expérimental dans une académie.

Orientation dite scolaire, orientation professionnelle, formation initiale, formation continue ; ce sera à chaque individu de recoller les morceaux qui le concernent ; et on peut penser que certains disposeront d’un tube de colle plus performant que d’autres.

Cependant…

L’architecture et le style du référentiel du socle de connaissances et de compétences professionnelles rappellent un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître, celui du développement des CAP par unités capitalisables (CAPUC) et de la rénovation des collèges au début des années 1980 ; toutes les formes canoniques sont présentes : compétences (objectifs en formation initiale) intermédiaires, compétences opérationnelles exprimées par des verbes d’action à l’infinitif (pouvant compléter l’expression « être capable de… ») et possédant les quatre caractéristiques : univoques (ciblent et ne ciblent que ce qu’elles sont censées représenter), réalisables, observables et évaluables ; critères d’évaluation ; le tout exprimé dans un langage simple garantissant la transparence vis-à-vis de la personne évaluée ; en effet, avoir une compétence inclut la conscience d’avoir cette compétence (ex. : « je sais m’exprimer » signifie : « je sais que le message que je vais transmettre sera compris du destinataire »).

L’exemple certes lointain de l’école semble avoir servi, et pourrait en retour inciter les personnes qui peinent à produire le triptyque socle (commun de connaissances, de compétences et de culture) - référentiel - livret de validation à s’inscrire à un stage de formation continue d’aide à l’élaboration d’un socle…

Il ne resterait pour les acteurs de terrain qu’une partie un peu chronophage : la production en équipes disciplinaires ou interdisciplinaires voire intercatégorielles de situations d’apprentissage, d’entraînement et d’évaluation, mais le plus dur aura été fait.

L’exemple certes lointain de l’école semble avoir servi, et pourrait en retour inciter les personnes qui peinent à produire le triptyque socle (commun de connaissances, de compétences et de culture) - référentiel - livret de validation à s’inscrire à un stage de formation continue d’aide à l’élaboration d’un socle…

Il ne resterait pour les acteurs de terrain qu’une partie un peu chronophage : la production en équipes disciplinaires ou interdisciplinaires voire intercatégorielles de situations d’apprentissage, d’entraînement et d’évaluation, mais le plus dur aura été fait.

Au pays de Courteline

Chaque socle n’est réputé validé que si toutes ses compétences sont validées ; pour les titulaires d’une validation partielle, qui passeraient de l’école au marché de la recherche d’emploi ou inversement, il est à prévoir la création d’une commission d’équivalences, à laquelle il faudra associer autant de traducteurs que nécessaire pour les ressortissants des autres pays de la CEE, afin d’attester dans un sens ou un autre tout ou partie des compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie du cadre de référence européen.

Pour vous faire une idée de l’exercice, vous pouvez télécharger le texte de cet article avec un tableau comparatif des trois socles, et le texte du décret du 13 février 2015 :

Deux socles pour le prix d’un

Le référentiel détaillé du socle de connaissances et de compétences professionnelles est téléchargeable dans l’espace réservé aux adhérents.


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