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Discours d’Yvan SOULELIAC, président de l’ANDCIO, prononcé lors de la journée d’étude du 23 novembre 2012

9 décembre 2012, par SOULELIAC Yvan


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lors de la journée d’étude du 23 novembre 2012

La notion de culture sociale, économique et professionnelle est une notion essentielle pour tous ceux que la question de l’éducation préoccupe.

L’ANDCIO en a fait une idée forte lors des journées de concertation sur la refondation de l’Ecole de la République, et nous avons constaté qu’elle résonnait avec un écho particulier chez nos interlocuteurs.
Car la France a choisi, historiquement, de placer la formation du citoyen comme objectif majeur de l’Education Nationale.

Dans le contexte qui est celui des pays avancés et en proie à des difficultés structurelles de chômage, cette formation du citoyen inclut nécessairement la dimension de culture sociale, économique et professionnelle.

Mais c’est là que le bât blesse. En effet, tout comme le mot « orientation », l’expression « culture sociale, économique et professionnelle » est à la fois très polysémique et très alléchante pour tous ceux qui ont bien compris qu’elle pouvait représenter un marché juteux, exactement comme …l’orientation !

Prenons par exemple, l’idée selon laquelle il serait intéressant de faire découvrir l’entreprise aux élèves de 6e. Cela déclenche immédiatement l’enthousiasme des entreprises et la méfiance des enseignants et n’engage pas le débat sur le fait de savoir si cette idée peut participer de l’acquisition d’une culture et si oui, en quoi elle y participe ; le débat est tout de suite engagé sur le fait de savoir s’il y aura des stages ou non, de quelle durée, si cela sera obligatoire pour tous les élèves ou bien plutôt réservé à ceux dont on pense qu’ils pourraient utilement se diriger vers les 600000 emplois non pourvus...
Les craintes légitimes et les procès d’intention sont immédiats, tout comme est immédiat le positionnement de toutes les associations diverses, issues ou non des milieux professionnels, qui se proposent de mieux faire connaître les métiers…

Je vous avoue avoir une tendresse un peu inquiète envers l’élève de collège, à qui je souhaite bon courage pour se repérer, dès la 6e, dans l’univers des métiers et des formations entre tous ceux qui, se proposant de l’aider, empilent les actions disparates avec un risque évident de cacophonie.

D’autant qu’une fois de plus, le centre du dispositif est mis sur l’information, considérée à la fois comme la source et la solution de tous les problèmes : si les jeunes ne se dirigent pas vers les métiers porteurs d’emploi, c’est parce qu’ils ne sont pas informés…

Il est tout de même assez frappant de constater qu’au moment où l’adéquationnisme économique est contesté de toutes parts, on lui substitue un adéquationnisme de l’information : informons les jeunes sur les métiers porteurs, ils s’y dirigeront ! Parallèlement, les enseignants seront chargés de l’orientation dans le système scolaire.

Il y a là un risque réel de scission entre une vision de l’orientation purement scolaire et une vision de l’orientation gravitant autour de l’information sur les métiers. C’est une double erreur :
D’abord parce qu’il ne faut pas sous-estimer la force de « l’habitus » scolaire, qui va rapidement entraîner les collèges et les lycées à se centrer presque exclusivement sur la problématique de l’affectation.
Ensuite parce que les entreprises elles-mêmes sont depuis longtemps conscientes que l’information sur les métiers ne suffit pas, et qu’il faut l’intégrer à un ensemble plus vaste et plus complexe, liant projet pédagogique et découverte d’un milieu professionnel. Un exemple, parmi beaucoup d’autres, à l’appui de mon propos : l’opération « Jeunes-Industrie » date de 1991 ! Et elle continue dans de nombreux départements…

Vingt ans après, on ressort le « marronnier » de la désaffection des jeunes pour les métiers manuels, la méconnaissance des débouchés dans l’industrie, et on envisage comme solution la désarticulation du système en séparant l’orientation scolaire confiée aux enseignants et l’information sur les métiers confiée aux Régions.

Cela est bien éloigné de la culture telle que nous l’entendons, à savoir un processus de construction individuelle constitué à la fois d’acquisitions et de productions, de prise en compte de l’environnement et d’actions sur cet environnement.
En ce sens, elle prend racine dans des activités pédagogiques mais doit s’en dégager pour permettre à l’individu de développer une expérience personnelle, faite de rencontres, d’ouverture sur l’extérieur, et donc de remise en question des représentations.
Dans cette perspective, on ne peut pas concevoir qu’il puisse y avoir quelque construction que ce soit si les activités sont segmentées, cloisonnées, séparées.

C’est pourquoi nous considérons que la culture sociale, économique et professionnelle est une nécessaire composante de la formation du citoyen et qu’elle fait partie intégrante de l’aide à l’orientation, fondée sur l’articulation entre les actions de conseil individuel et les actions de guidance, à visée générale et en direction de tout public, qui intègre évidemment toute la réelle problématique de l’information sur les métiers.

Se pose alors la question du caractère opérationnel de ce dispositif. Car personne ne remet en question le fait que ces actions doivent être conçues en amont, pilotées, coordonnées, intégrées, et que ce n’est qu’à cette condition que l’on peut s’appuyer sur des intervenants divers.
Plus précisément, personne n’en remet le principe en question. En revanche, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre, je suis beaucoup plus perplexe. Car nous le savons tous, les différentes actions, campagnes, et autres dispositifs, même s’ils sont pilotés au niveau national, académique ou régional, n’ont de chance d’être réellement mis en œuvre que s’ils sont accompagnés localement.

Les directrices et directeurs de CIO sont les personnels les mieux placés pour accompagner, au niveau des Bassins d’Education et de Formation, donc au plus près des territoires, cette conception de l’éducation selon laquelle la culture sociale économique et professionnelle doit répondre à un processus intégré, qui fait partie intégrante de l’aide à l’orientation :

Les directrices et directeurs de CIO sont les seuls à être à l’interface du scolaire et du professionnel sans être partie prenante de l’un ou de l’autre, tout en étant néanmoins ancrés dans la sphère scolaire, qui constitue le lieu où se déroule la majeure partie du processus d’orientation, dont on connaît l’impact : je rappelle à ce propos l’une des conclusions du Haut Conseil de l’évaluation de l’école, en octobre 2003 :

« La France apparaît comme un des pays où le lien entre la première qualification acquise en milieu scolaire et la vie professionnelle est le plus fort, à l’entrée dans la vie active comme tout au long de la vie. »

Ce rapport du Haut Conseil de l’évaluation de l’école, par les comparaisons européennes sur lesquels il s‘appuyait notamment, m’amène à rappeler quelques éléments que l’on a un peu vite oubliés.
Il faut en effet se rappeler que les profonds changements annoncés dans l’organisation du système de l’orientation prennent leur origine dans la résolution européenne de 2008, qui a défini quatre axes d’action :

1. favoriser l’acquisition de la capacité à s’orienter tout au long de la vie,

2. faciliter l’accès de tous les citoyens aux services d’orientation,

3. développer l’assurance qualité des services d’orientation,

4. encourager la coordination et la coopération des différents acteurs aux niveaux national, régional et local.

Ces quatre axes devaient être mis en œuvre en fonction des contextes nationaux, c’est la raison pour laquelle il me paraît utile de souligner l’attachement de la France à la formation du citoyen intégrant aujourd’hui, dans le contexte que je rappelais plus haut, la dimension de la culture sociale, économique et professionnelle, qui est pour l’ANDCIO, indissociable de la réflexion sur l’organisation de l’aide à l’orientation. Les deux sont intrinsèquement liées.

Mais cette culture, tout comme l’aide à l’orientation, sont victimes d’un double handicap :

  • premièrement, la définition, les contours, le contenu ont du mal à être compris et intégrés ;
  • deuxièmement, les acteurs qui doivent la prendre en charge sont certes prévus et définis sur le plan institutionnel, mais leurs rôles ne sont pas aussi clairement repérés qu’on pourrait le penser.

Concernant le premier handicap force est de constater le décalage alarmant entre d’une part les intentions sociétales que sous tendent à la fois cette culture et l’organisation de l’aide à l’orientation, et d’autre part la manière avec laquelle elles sont perçues sur le terrain.
Si l’on considère les trois piliers de cette culture : sociale, économique et professionnelle, il est indispensable de les considérer comme un ensemble, même si plusieurs intervenants, d’origines diverses, doivent y contribuer.

Pour ce qui concerne les axes de la résolution européenne, théoriquement, l’objectif est clair : il s’agit de faire acquérir au futur citoyen une capacité à s’orienter, qui lui donne les moyens d’être acteur de la construction de son parcours de formation, d’insertion et de vie professionnelle. Cette acquisition s’appuie elle aussi sur trois piliers que nous connaissons bien, et qui participent de cette culture, même si elle ne s’y résume pas :

  • connaître l’environnement économique ;
  • se connaître soi-même ;
  • connaître le système de formation.

Ce ne sont pas ces trois piliers qui posent problème, mais la façon dont on les met en place.

Tout d’abord parce que les enseignants ne sont pas vraiment accompagnés dans cette nouvelle composante de leur métier, en particulier au niveau local, dans les établissements.

On nous annonce que se mettront en place des formations dans les ex IUFM futurs ESPE. Je travaille depuis près de vingt ans en IUFM, et ces modules de formation ont toujours existé et sont même plébiscité par les professeurs stagiaires. Le problème réside plutôt dans l’absence de suite donnée à ces modules de formation, lorsque ces enseignants sont en poste à temps complet.

L’autre aspect du décalage tient à la manière dont à la fois le gouvernement et les Régions envisagent la problématique, car on ne peut pas sérieusement considérer que les emplois non pourvus le sont par défaut d’information. Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir d’actions menées dans ce domaine. Mais on ne peut pas bâtir une politique sur ce postulat.

Le deuxième handicap, à savoir les rôles respectifs des acteurs, renvoie à la nécessité absolue, pour le jeune adolescent, d’avoir des repères stables. Il doit savoir que lorsqu’il s’adresse à un conseiller d’orientation psychologue, il ne s’adresse pas à son professeur principal. Les deux peuvent parler d’orientation, mais les rôles doivent être clairement identifiés, ce qui n’est pas toujours le cas et ce n’est pas si simple, au sein de l’équipe éducative, que d’arriver à bien définir les rôles de chacun.

Aujourd’hui, la situation s’est complexifiée. En effet, dans le cadre du service public d’orientation (SPO), il y a un risque de multiplication des actions et des intervenants au sein des établissements scolaires. L’animation locale du SPO ne peut pas forcément résoudre tous les problèmes qui se présentent dans ce domaine.

Il existe pourtant des solutions, fondées sur deux idées fortes :

  • développer l’idée du réseau, qui est sans doute la bonne idée du SPO, mais qui demande à être revue et précisée, à la lumière des expériences menées ici et là, avec son cortège de réussites et de difficultés ;
  • maintenir la cohérence des actions, en particulier quand elles sont à l’interface du scolaire et du professionnel
    – ce qui est le cas le plus fréquent. A ce propos, je maintiens que la séparation des deux est un risque majeur de l’organisation telle qu’elle est évoquée pour l’instant. A tout le moins, il y a là un flou dont il faut sortir au plus vite.

Animation et coordination du réseau, mise en cohérence des actions, nous avons là une formidable opportunité pour enfin mettre en œuvre une nouvelle structuration des CIO, qui mette fin aux situations intenables que nous connaissons tous, avec un statut des directrices et des directeurs totalement inadapté à la réalité de l’activité des CIO, dont le statut est lui aussi à revoir.

Cette nouvelle organisation ne peut pas faire l’impasse sur la création d’un établissement public, dont la forme juridique doit être suffisamment forte pour pouvoir répondre à l’immensité de l’enjeu. En l’occurrence, on ne peut pas séparer le fond de la forme.

C’est donc sur ce point précis que nous verrons si l’Education Nationale et les Régions veulent vraiment accorder de l’importance à l’orientation.

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